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Manuela Frésil, Entrée du personnel

1 Ce documentaire a remporté le Grand Prix de la Compétition Française, palmarès 2011 au Festival international de cinéma de Marseille. Il s’inscrit dans un projet cinématographique de longue haleine. Depuis 1992, Manuela Frésil passe de la fiction aux documentaires. "Notre campagne" en 2000, démystifie la vie paysanne ; 2003 dans "Si loin des bêtes" dans lequel on suit la problématique de l'élevage industriel où la vie des animaux, comme celle des éleveurs, n'est plus qu'un rouage du système de production ; 2008, elle écrit le scénario du projet "Abattoir" où on découvre l’univers des conditions de travail dans les grands abattoirs d'Europe. Le texte de ce documentaire, mise en scène au théâtre par Anne Théron, à Poitiers, devient en 2011 Entrée du personnel 1 .

2 Dès le début du film, nous nous trouvons au cœur de l’usine. Rien ne peut empêcher l’angoisse qu’impose le rythme, même au spectateur. Une ambiance anxieuse est mise en scène. Le discours de ce documentaire de Manuela Frésil est radical. il fait place aux images,aux bruits, on sentirait presque l’odeur du sang, du sang qui coule. On voit d’abord le produit emballé, et peu à peu, le film se déroule et nous assistons à l’entrée des animaux vers l’abattoir, orientés à coups de taser.

  • 2 C’est Ă  partir d’une soixantaine d’entretiens que le montage des textes des voix off a Ă©tĂ© rĂ©digĂ©.

3 Nous voici plongés au cœur d’usines d’abattage et de transformation de viande de l’Ouest de la France. On comprend au fur et à mesure des quelques témoignages en voix off 2 que nous nous trouvons dans une région sinistrée où les alternatives en termes d’emplois pour des profils peu ou non qualifiés sont rares. Ainsi, parce qu’ils viennent du coin, parce qu’ils aimaient le métier ou par amour, ils viennent à l’abattoir. Des femmes et des hommes, à la chaîne ou en maîtrise, intérimaires ou syndiqués se confient. Ils confient leurs émotions face à l’augmentation de la cadence. Quelles que soient les raisons qui les auront amenés sur la chaîne, c’est un problème de santé qui va les faire sortir. La chaîne marque de façon indélébile, la nuit, le jour, le corps, les rêves…

4 Dans ce film au rythme aussi lent que les gestes y sont rapides, on sent un pessimisme très puissant, un appel au secours désabusé. Par tranches, des petits groupes d’ouvriers hors de l’usine sont mis en scène pour reproduire les gestes de la chaîne. On les voit, même au bord de la mer, nous parler de l’usine. Elle est partout, même dehors. Le ton des voix est quelque fois aussi robotique que le travail à la chaîne. Le spectateur est réellement malmené à la vue de ces corps, ces vies, manipulées et brisées.

  • 3 Zarifian Philippe, Le Travail et l’évĂ©nement. Essai sociologique sur le travail industriel Ă  l'Ă©po (. )

5 Ce qui pointe dans un deuxième temps et qui nous soulage un peu, c’est le discours qui contextualise ces images « brutes ». Il est amené par celui qui dit avoir « été programmé pour le travail en usine » mais qui n’aura pas supporté sa promotion interne, et surtout l’impact des « améliorations mécaniques sur l’humain ». Lui qui avait choisi d’évoluer dans l’usine décide par lui-même de quitter son poste de promotion parce qu’il ne veut plus savoir comment se décide la cadence et n’accepte plus de maltraiter si violemment le rythme physique de ses collègues. Il lâchera doucement, pour finir, à mi-voix, qu’au final, « on ne pas être des robots ». Ainsi, on découvre que ces changements de cadence sont récents. Cette pression faite aux salariés par la direction, est quelques fois insidieuse puisqu’il existe des accélérations « secrètes », par tranches de 15 minutes, pour « livrer à temps » malgré les événements 3 survenus, comme les pannes. Selon lui, il n’est plus supportable de rentrer dans les « secrets » de l’entreprise et « trahir » les autres.

6 En perspective, on découvre que l’entreprise elle-même est prise dans des problématiques plus fortes qu’elle-même, ceci principalement dû à la pression des prix exercée par les distributeurs. Il faut de nouvelles machines pour aller plus vite et baisser les prix, mais ensuite il faut aussi les rentabiliser, et ainsi se résume le cercle vicieux de la production alimentaire, qui ne supporte ni retard, ni délais, encouragé par l’argument de péremption qui nuit à toute marge de manœuvre. Et le salarié est le dernier maillon de cette ligne, la cadence y est inhumainement rapide, les têtes n’ont même pas le temps de se relever pour regonfler les poumons et les articulations s’usent, favorisant les troubles musculo-squelettiques mais aussi la souffrance morale. la douleur, et les cauchemars.

7 Ainsi la question de la santé est rédhibitoire dans les histoires de ces ouvriers. D’où cet engouement pour le travail avec des intérimaires où les problématiques de santé sont évincées par des fins de missions. aucune maltraitance n’est alors visible dans les chiffres et en apparence, tout va bien. Pourtant, ce sont des successions d’entrées, de départs, de souffrances, d’infiltrations dans les articulations, et de retours, irrémédiables… à l’abattoir.

8 Ces ouvriers ne sont pas des artistes, juste des héros ordinaires qui trinquent d’un système Kaisen en flux tendu qui va bien au-delà de leur chaîne d’usine, mais qui englobe bien toute la chaîne alimentaire et économique, des producteurs aux consommateurs en passant par les innombrables intermédiaires. Par ailleurs, Manuela Frésil explique dans une interview 4 qu’elle a filmé dans plusieurs usines sans problème de montage, les outils/tenues/organisations du travail étant toujours identiques. D’autre part, les plans où les ouvriers sont filmés devant leurs usines sont les lieux où la réalisatrice n’a pu entrer. Ce qui en dit long sur le potentiel inhumain des conditions de travail, encore aujourd’hui, en France.

2 C’est à partir d’une soixantaine d’entretiens que le montage des textes des voix off a été rédigé.

3 Zarifian Philippe, Le Travail et l’événement. Essai sociologique sur le travail industriel à l'époque actuelle. L’Harmattan, 1995.

Pour citer cet article

Référence électronique

Anne Jacquelin. « Manuela Frésil, Entrée du personnel », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2012, mis en ligne le 19 mars 2012, consulté le 20 juillet 2017. URL. http://lectures.revues.org/7908

Discipline

Sociologie

Diane Dufour (dir.). Images Ă  charge. La construction de la preuve par l'image [livre]

Will Atkinson. Class in the new milennium. The structure, homologies and experience of the British social space [livre]

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